2024 : une année électorale sans précédent dans l’histoire

Les dix principales leçons à tirer

Jean-Luc Maurer

La moitié de la population mondiale a voté en 2024. Les quelque 80 pays dans lesquels un scrutin présidentiel et/ou législatif a eu lieu représentent en effet 4,1 milliards d’habitant.e.s sur les 8,2 que compte la planète. Quelles sont les principales leçons à tirer de cette année électorale sans précédent ?

  1. Contrairement à ce qui a toujours traditionnellement été le cas, les élections ne peuvent plus être considérées comme le principal indicateur marquant la différence entre régimes démocratiques et autoritaires. En effet, ces derniers organisent désormais presque tous des scrutins électoraux qui sont totalement manipulés mais sont censés leur donner l’apparence d’une démocratie et la légitimité populaire qui l’accompagne. En d’autres termes, ils font semblant de jouer un jeu démocratique. En 2024, cela est advenu dans de nombreux pays parmi lesquels se distinguent notamment la Russie, la Biélorussie, l’Iran, l’Azerbaïdjan, l’Ouzbekistan, l’Algérie, la Tunisie, le Bangladesh, le Venezuela ainsi que de plusieurs pays africains dont le Rwanda, le Togo ou le Tchad.
  2. Dans de nombreux pays, les fraudes massives qui entachent les élections ne dépendent plus du traditionnel bourrage d’urne ou du fait de faire voter les morts le jour du scrutin mais relèvent de manipulations plus ou moins subtiles ayant lieu en amont de ce dernier, au niveau institutionnel ou à travers les réseaux sociaux, en barrant le chemin à certains candidats ou en jugulant la presse. Souvent, les choses se passent plutôt bien ou pas trop mal le jour du scrutin. Mais c’est avant que le travail de sape a eu lieu. On peut citer à cet égard de multiples exemples dont les plus flagrants ont été ceux de l’Indonésie, de la Slovaquie, de la Géorgie, de la Roumanie, de l’Algérie, de la Tunisie, de Madagascar ou du Venezuela.
  3. L’argent joue toujours un rôle prépondérant dans les élections, mais il n’est plus le seul facteur déterminant du résultat du scrutin qui dépend au moins autant désormais de la capacité des candidats à former des alliances pré-électorales, à manipuler les institutions et/ou à maitriser les réseaux sociaux. Le cas le plus patent en la matière a été celui des États-Unis où Kamala Harris avait accumulé un trésor de guerre encore plus important que celui de Trump, et a pourtant perdu. Les USA se singularisent aussi par le fait que c’est un vieillard milliardaire suprémaciste blanc doublé d’un criminel condamné par la justice qui a été élu face à une femme de couleur ancienne juge et procureure générale de Californie !
  4. Le népotisme contamine de plus en plus le jeu démocratique et électoral de nombreux pays, l‘Asie détenant sans nul doute le pompon en la matière comme on a pu le voir dans le cas de l’Azerbaidjan, du Bangladesh, du Cambodge, de l’Indonésie ou du Pakistan. L’Afrique a montré qu’elle n’était pas en reste non plus, du Tchad au Togo, sans parler des cas historiques du Cameroun ou du Congo Brazzaville
  5. Les partis politiques censés animer le jeu démocratique et qui se présentent souvent aux élections sans programme ni idées bien précises, s’avèrent de plus en plus n’être que des machines électorales au service d’individualités qui luttent pour le pouvoir. Dans de nombreux pays, les gens votent davantage pour des personnes que pour des programmes ou des idées. Le cas de l’Indonésie a été particulièrement patent en la matière mais on retrouve cette tendance dans de nombreux autres pays.
  6. En raison de ce qui précède, les élections sont de plus en plus contestées. Très nombreux sont les scrutins qui se soldent par des protestations ou des remises en question devant les Cours constitutionnelles. Au bout du compte, la légitimité politique que sont censées procurer les élections est de plus en plus faible. Tout cela alimente la défiance que les électeurs entretiennent envers les consultations électorales et la démocratie en général. Dans de nombreux pays, les taux de participations sont d’ailleurs en baisse et se sont même parfois écroulés comme au Bangladesh (40%), en Iran (39%), en Syrie (38%), en Jordanie (32%) et en Tunisie (11%). Cela montre une véritable désaffection populaire devant les mascarades électorales organisées par les pouvoirs en place.
  7. La droite et l’extrême droite ont fait des percées importantes dans de très nombreux pays d’Europe, notamment à l’occasion des élections européennes, en Allemagne, en France, aux Pays-Bas, en Belgique, en Autriche, en Slovaquie, en Pologne, en Bulgarie ou en Roumanie, ainsi bien sûr qu’aux États-Unis. Dans ce dernier pays qui semble désormais constituer l’exemple à suivre pour ses admirateurs, on assiste à un renforcement de l’exécutif, une neutralisation du législatif, une collusion du pouvoir politique avec la ploutocratie et un affaiblissement de la justice, dernier rempart contre la dérive illibérale et autoritaire en cours.
  8. Dans beaucoup de pays africains ayant été victimes de coups d’état récents, les élections ont été repoussées ou annulées, au Burkina Faso, au Mali, au Niger, en Guinée-Conakry et en Guinée-Bissau ainsi qu’au Soudan du Sud, mais également en Haïti, du fait de la violence et de l’insécurité, ou en Ukraine, en raison de la loi martiale prononcée en 2022 après l’invasion par la Russie.
  9. Tout n’est toutefois pas (encore) complètement noir car les élections ont aussi donné lieu à une alternance démocratique incontestée et à la victoire régulière de l’opposition parlementaire dans plusieurs pays : Japon, Corée du Sud, Lituanie, Sri Lanka, Île Maurice, France, Portugal, Royaume-Uni, Botswana, Ghana. Cela résulte du fait que les électeurs votent souvent pour punir les partis sortants qui ont été plus ou moins longtemps au pouvoir sans tenir leurs promesses électorales, et démontre le degré de désenchantement face à une démocratie considérée comme incapable de régler les problèmes de la majorité de la population. Mais la continuité a aussi primé dans certains pays avec la réélection de partis au pouvoir, notamment à Taiwan, au Mexique, en Finlande, en Irlande, en Islande, en Croatie, en Mauritanie, aux Maldives, au Panama, en République Dominicaine et…surprise, surprise, en Corée du Nord !
  10. Et il faut aussi dire que l’on a enregistré un certain nombre de bonnes surprises :
    1. la défaite aux élections législatives du parti ultraconservateur PIS en Pologne ;
    1. la victoire plus courte que prévue du BJP suprémaciste hindouiste de Modi en Inde ;
    1. le retour au pouvoir du Parti travailliste au Royaume-Uni où les Conservateurs ont payé le désastreux Brexit et l’incurie léguée par le calamiteux Boris Johnson ;
    1. la victoire de l’opposition au Sénégal après la tentative du président sortant Macky Sall pour s’accrocher au pouvoir en repoussant les élections ;
    1. le fait que la toute puissante ANC a perdu sa majorité absolue en Afrique du Sud ;
    1. la révolte populaire au Bangladesh ayant chassé du pouvoir Sheikh Hassina, qui avait gagné des élections manipulées et contestées quelques mois plus tôt, et amené le très respecté Mohamed Yunus à la présidence intérimaire du pays ;
    1. voire peut-être même la victoire lors de l’élection présidentielle en Iran du candidat réformiste face à l’ultraconservateur soutenu par le Guide suprême Khamenei ;
    1. la confirmation que l’Uruguay continue à s’affirmer comme exemple de démocratie pour l’Amérique latine ;
    1. l’élection ou la réélection de quelques trop rares femmes à la présidence de leur pays, en Moldavie, au Bostwana et surtout au Mexique, avec la victoire de Claudia Sheinbaum, dans un pays pourtant affligé par la violence et un machiste bien ancré ;
    1. enfin, la victoire du Nouveau Front Populaire républicain de la gauche aux élections législatives anticipées organisées en France, suivant la dissolution aventureuse de l’Assemblée nationale décidée par Emmanuel Macron, ayant permis de contenir la poussée du Rassemblement national d’extrême droite de Marine Le Pen mais ayant débouché sur un parlement sans majorité, une perte de pouvoir du président et une très forte instabilité gouvernementale dont le pays n’est toujours pas sorti.

Cela dit, malgré ces quelques exemples qui vont à contre-courant, l’année électorale hors du commun de 2024 se solde avant tout par la continuation et l’accélération du déclin de la démocratie dans le monde, de l’affaiblissement des idées libérales et progressistes et de la montée d’une appétence pour l’illibéralisme et l’autoritarisme. C’est particulièrement flagrant aux États-Unis où la réélection de Trump consacre la mainmise croissante de la techno-ploutocratie des GAFAM sur le pouvoir politique et inaugure le lancement d’une véritable croisade antidémocratique qui risque de précipiter le pays et le reste du monde dans le chaos. Alors on peut toujours penser que les quelques bonnes surprises évoquées plus haut montrent que la démocratie n’est pas encore morte et résiste encore un peu ici et là. La question est pour combien de temps ?

NB. Pour aller plus loin, voir les deux excellents articles du Guardian sur lesquels je me suis notamment appuyé pour faire cette synthèse “ Did democracy survive the 2024 global election marathon”, 23 December 2024 et “Elections tracker 2024 : every vote and why it mattered”, 21 December 2024.

Puplinge, le 18 février 2025 

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