par Jean-Daniel Rainhorn
La soirée avait été agréable. J’étais allé diner chez des amis que je n’avais pas vus depuis longtemps à cause du confinement. A table, une distance de deux mètres avait été parfaitement respectée. Un délicieux lapin aux carottes arrosé d’un vin toscan aux arômes boisés avait égayé notre repas et la discussion s’était poursuivie fort tard. Il avait bien sûr été question des petits-enfants, des escapades dans la campagne française au cours de l’été mais aussi de l’épidémie de Sars-Cov2 et des élections américaines. Je m’étais couché heureux de cette jolie soirée et m’étais endormi rapidement.
Dans mon rêve, nous étions le 21 novembre 2020. J’étais devant l’écran de mon ordinateur. Comme chaque jour, je regardais les titres des journeaux étrangers pour avoir d’autres points de vue que ceux de la presse francophone. Le titre de l’éditorial du New York Times en première page fut comme un choc : « Horrors in the United States ! ». En quelques lignes le journal décrivait le cauchemar que vivaient les USA en cette période post-électorale au cours de laquelle le président sortant Donald Trump contestait devant les tribunaux le résultat des élections qui avait pourtant vu une large victoire de son adversaire Joe Biden.
« La tentative désespérée d’un autocrate de s’accrocher au pouvoir aux Etats Unis d’Amérique a conduit à des atrocités indicibles et à des centaines de morts. Des millions de personnes ont été chassées de chez elles. La communauté internationale se doit d’agir rapidement pour mettre fin à cette terreur.
L’Organisation des Nations Unies (ONU) a envoyé plus de 90.000 soldats de la paix dans le pays pour protéger les civils. Il est devenu indispensable qu’ils soient déployés en urgence et il faudra probablement envisager davantage de renforts. Les civils devraient être autorisés à se réfugier dans des lieux où ils pourraient être en sécurité. Les Nations Unies devraient envisager des moyens de brouiller le système de radiodiffusion d’État qui incite à la violence.
Le chaos a été précipité par le président Donald Trump après avoir perdu les élections du 3 novembre dernier. La communauté internationale a reconnu Joe Biden comme le président légitime. Lorsque M. Trump a refusé de reconnaître les résultats du vote, le Conseil de sécurité des Nations Unies et plusieurs pays ont imposé des sanctions économiques et diplomatiques.
M. Trump a alors commencé ce que Human Rights Watch a décrit comme une campagne de violence organisée pouvant constituer des crimes contre l’humanité, avec des meurtres et des viols à motivation politique. Le 3 décembre, des hommes armés non identifiés ont tiré sur des milliers de femmes manifestant pacifiquement. Le nombre de victimes est très élevé.
Si Human Rights Watch blâme les forces de M. Trump pour la majorité des quelque 4.000 morts civils, les forces pro-Biden sont également accusées. Plusieurs pays font pression sur le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies pour qu’il enquête sur les accusations d’atrocité.
Le Conseil de sécurité doit appliquer strictement les sanctions contre M. Trump et ses hommes de main. La communauté internationale doit continuer d’essayer de le persuader de se retirer. Après des années de troubles, les électeurs américains ont clairement voté pour le changement. Il ne faut pas permettre à M. Trump de contrecarrer leur volonté ou de plonger le pays dans la guerre civile. »
Au petit matin, je me réveillais effrayé. Etait-ce vraiment un rêve ? Un rêve prémonitoire qui annonçait le désastre qui pourrait advenir si D. Trump refusait de quitter le pouvoir dans l’hypothèse où il serait battu par J. Biden ? Beaucoup se plaisent à souligner que les institutions démocratiques américaines sont solides et qu’elles rendent un tel scénario hautement improbable. Et pourtant ? Si finalement la Cour Suprême des Etats Unis d’Amérique où cinq – et bientôt probablement six – des neuf juges sont réputés conservateurs, refusait à la demande de D. Trump, de valider le résultat des élections, ne serait-ce pas une manière légale de rester au pouvoir ? Un coup d’Etat « approuvé » par la Cour Suprême ? L’onde de choc ébranlerait la planète toute entière.
Heureusement, ce n’était qu’un cauchemar !
PS : Le lendemain, on apprenait que D. Trump avait été testé Covid+ et qu’il était hospitalisé… Cela le fera peut-être changer d’avis sur la distance sociale et le port du masque qu’il a tant de fois jugés inutiles!
NB. Le texte de l’éditorial du New York Times reproduit ci-dessus, n’est pas un texte de fiction. Il est, à quelques mots près, l’éditorial intégral publié par ce même journal le 17 mars 2011 quelques jours après l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire à la suite de laquelle Laurent Gbagbo, le président en place depuis dix ans, refusa de quitter le pouvoir malgré l’élection reconnue par la communauté internationale de son rival Alassane Ouatarra. Il s’en est suivi une guerre civile de plusieurs semaines qui fit plus de 3.000 victimes. Un scénario à l’ivoirienne – pays africain à la démocratie récente et fragile – est-il envisageable aux Etats Unis d’Amérique, démocratie à la Constitution quasi immuable depuis 230 années ?