Par Jean-Daniel Rainhorn
Depuis que l’épidémie à coronavirus a envahi notre quotidien, leurs photos s’étalent chaque jour à la première page de nos journaux. Ils sont comme des super-héros de bandes dessinées qui auraient accompli ce à quoi tout le monde rêve aujourd’hui : arrêter la catastrophe humanitaire qui se déroule sous nos yeux et qui bouleverse nos vies. Des gesticulations du premier aux affirmations péremptoires du second, Donald Trump et Didier Raoult saturent les médias. Mais à les regarder ainsi occuper nos écrans, je suis frappé par leur ressemblance. Alors que tout devrait les opposer, il y a pourtant un air de famille entre le Tycoon newyorkais qui a fait sa fortune dans l’immobilier et le chercheur marseillais spécialiste des maladies infectieuses.
Bien Sûr, au premier coup d’œil et bien qu’elles soient différentes, on est frappé par leur chevelure luxuriante. Aujourd’hui, si l’on veut toucher les foules, il faut « faire image ». Quoi de plus simple que les cheveux ? Une manière d’exprimer leur narcissisme à fleur de scalp ? Le signe d’une « tricophilie » ? Mais revenons à des choses plus sérieuses.
Les épidémies ont toujours offert un miroir aux sociétés en leur révélant leur vraie nature. Elles génèrent la peur et donc l’irrationnel. Les hommes et les femmes qui émergent voire prennent le pouvoir lorsque les peuples sont déboussolés par des événements qui les dépassent sont souvent le reflet de cet effroi collectif qui fait vaciller la raison. On leur demande de rassurer quel qu’en soit le prix. De dire ce que l’on a envie d’entendre y compris en déformant la réalité fut-elle scientifique. A l’exception d’un certain nombre de journaux particulièrement rigoureux – ce qui n’est pas facile en ces temps agités – les médias n’informent plus. Ils font du sensationnel et donc renforcent l’angoisse ! Et comme la mode est aujourd’hui au déni des réalités, au complotisme ou encore à l’utilisation d’informations non vérifiées, les populistes y sont particulièrement à l’aise. Ils savent utiliser les tribunes que leur offrent les médias pour donner leur opinion comme si elle était la vérité. Peu importe ce que l’on dit pourvu que cela soit simple à comprendre ! Dans ce domaine, nos deux hommes font preuve d’un grand talent.
Reprenons le cours de l’épidémie de Covid-19 et observons le comportement de nos deux protagonistes. Dans un premier temps, l’un comme l’autre ont affirmé avec force que l’épidémie était une pure invention médiatique et qu’elle n’avait aucun caractère de gravité. Observons ce que disait le professeur de virologie le 21 janvier 2020 alors que l’épidémie en était à son début en Chine : « Il se passe un truc où il y a trois chinois qui meurent et ça fait une alerte mondiale. Il n’y a plus aucune lucidité ». De son côté, quelques jours plus tard, le président américain est tout aussi rassurant : « On a très peu de problèmes ici. Nous n’avons que cinq cas. Et tout le monde se rétablit ». Le même jour, l’OMS déclare que le coronavirus est « une urgence internationale de santé publique ». Cela n’ébranle pas Didier Raoult qui le 1er février affirme que : « Ce virus n’est pas si méchant, ce n’est pas un meurtrier aveugle ! » et le 25 février déclare que : « C’est probablement l’infection respiratoire la plus facile à traiter de toutes ». Ni d’ailleurs Donald Trump qui le 10 février affirme : « Le virus devrait s’en aller avec la chaleur d’avril ! » et le 2 mars « qu’un vaccin sera bientôt disponible ». Propos immédiatement contredits par les scientifiques. Bien sûr, tout le monde peut se tromper !
Mais ne faut-il pas s’inquiéter quand le même Didier Raoult se lance dans la promotion d’un traitement du Covid-19 par l’hydroxychloroquine sur la base d’une étude chinoise dont les résultats ne démontrent pas l’efficacité évidente de ce produit. Il s’appuie également sur une étude réalisée par lui-même qui fait immédiatement l’objet de vives critiques scientifiques tant elle bafoue les règles habituellement utilisées par les chercheurs du monde entier. Laissant de côté les dangers du produit, il déclare sans plus de preuve le 26 février : « Ce serait une faute médicale de ne pas donner de la chloroquine contre le virus chinois ! ». Une phrase qui va avoir des conséquences considérables dans le monde entier puisqu’elle provoque dans de nombreux pays une ruée vers les pharmacies pour acheter le « produit miracle ». Jusqu’au président des Etats Unis qui après avoir déclaré le 28 février que l’épidémie est « un canular des démocrates » affirme deux jours plus tard « j’ai toujours su que c’était une pandémie » et qu’il fallait utiliser l’hydroxychloroquine qui « est un don du ciel ».
« Un virus chinois » ? Là encore, la stigmatisation propre aux épidémies et aux populistes est utilisée sans complexe par nos deux compères. Combien de juifs et de tziganes massacrés au cours des siècles passés parce qu’accusés de répandre la peste ou le choléra ? Rappelons pour mémoire que plusieurs aggressions de personnes d’origine asiatique ont eu lieu dans les pays occidentaux au point d’entrainer une protestation du gouvernement chinois.
Reste que la loi est normalement un garde-fou pour ceux, en particulier en situation de pouvoir, qui ont tendance à dire et à faire ce que bon leur semble. Sauf que pour les populistes quand la loi devient un obstacle ils chercher à la contourner. Le monde scientifique a été très surpris lorsque le virologue marseillais a publié des réultats qui ne respectaient pas les critères rigoureux de la recherche biomédicale et qu’il a proposé à ses patients un traitement « hors autorisation de mise sur le marché ».
Oui, Donald Trump et Didier Raoult sont frères. Ils font partie de cette frange de la population qui se nourrit d’anti-establishment, de gesticulations, de fake news et de xénophobie. Le problème est que cette vision du monde – comme une épidémie ! – n’arrête pas de gagner du terrain. Fort de sa réputation internationale, Didier Raoult a renouvelé le populisme médical, un concept qui jusqu’ici était réservé aux charlatans. Une dérive surprenante de la part d’un scientifique de ce niveau qui ne devrait pas devenir un modèle pour la science, même s’il s’avère, après des études sérieuses, que l’hydroxychloroquine peut améliorer la santé des patients infectés par le Covid-19. Victime de l’air du temps ?
Jean-Daniel Rainhorn
J’estime là que l’auteur de l’article y va un peu fort : c’est faire bien trop d’honneur à Trump que de l’associer à Raoult. Du premier, n’en parlons pas. Du second : tout scientifique qui cherche et propose une solution à la crise sanitaire actuelle mérite qu’on l’écoute, même si sa démarche ne correspond pas aux canons scientifiques habituels. Mais je ne suis pas médecin… Je pense que Raoult est victime d’un marketing médiatique. L’a-t-il voulu ? Laissons-lui le bénéfice du doute. En Suisse, les débats au sujet de la chloroquine sont moins vifs. Mais on apprend que les grands hôpitaux, sans toutefois le crier sur les toits, l’utilisent, associée à d’autres médicaments. Pas comme une solution miracle, mais comme une des pistes possibles, parmi d’autres, dans l’incertitude actuelle, tout en attendant le vaccin. Sur son blog, Jean Dominique Michel, anthropologue, a, il y a quelque temps, proposé une analyse non dénuée d’intérêt, à mon avis. Lire « covid-19, fin de partie ?! ». Un autre point de vue…
Cher Jean-Daniel,
Nous nous connaissons assez bien pour que je ne prenne pas ici de précautions oratoires en t’apostrophant autrement qu’en ami, que la vie a éloignés ces derniers temps.
Tu sais donc que je n’ai aucun titre pour m’engager dans une controverse sur les avantages comparés de pratiquer des essais cliniques à base de telle ou telle potion médicamenteuse aux effets antiviraux pour tenter d’avoir raison du Covid-19. En revanche, je pense, avec ma modeste culture scientifique et mon engagement de citoyen critique comme toi des dangers que font courir les complotistes de tout acabit, pouvoir apprécier ce qui s’en dit sur les réseaux sociaux et les blogs divers, dont le présent.
La comparaison que tu fais entre Trump et Raoult, coupables tous deux de dénis tonitruants à l’orée de la pandémie actuelle, que tu relèves justement dater du mois de janvier, est bien sûr justifiée, et il est facile de le vérifier sur le site de l’IHU de Marseille, où tous les entretiens vidéo du professeur sont consignés en regard des bulletins épidémiologiques et autres communiqués de presse de l’institut de recherche qu’il dirige, et qu’il considère avec le centre hospitalier associé comme le vaisseau amiral de l’infectiologie française et internationale. La comparaison, justifiée sur les dénis initiaux de la portée future de la pandémie, s’arrête toutefois là, et je crois, comme il est relevé dans un précédent commentaire, que tu as cédé toi-même un peu vite à la facilité en extrapolant de l’emploi immodéré de son autocélébration par le mage marseillais à l’invalidation de sa démarche de médecin chercheur concluant à l’urgence immédiate d’emploi de traitement à base d’hydroxychloroquine, associée à l’azithromycine, aux premiers stades de déploiement de la maladie, avant donc son éventuelle autorisation par les instances médico-scientifiques consacrées, OMS comprise, de mise sur le marché.
Autrement dit, il ne suffit pas de rappeler d’autres frasques, déclarations insupportables ou suspectes, et protections politiques dont le bonhomme bénéficie, pour passer un voile pudique sur les dysfonctionnements de la stratégie gouvernementale française de confinement prétendument arc-boutée sur la science infuse de son aréopage de conseillers, et en réalité axée sur une gestion hypocrite des pénuries diverses dont il aura à répondre.
Ce sont bien sûr les écrits de l’anthropologue de la santé Jean Dominique Michel, que tu connais certainement, sur le blog qu’il cultive à la Tribune de Genève, qui m’ont les premiers alerté sur le conflit ancien et persistant entre médecine dite scientifique et pratique médicale rejetant la théorie des procédures de validation à base de groupe témoin en double aveugle, usage de placebo ou à défaut de randomisation entre médications candidates, particulièrement sujettes selon lui, à l’heure néolibérale, de corruption par l’industrie pharmaceutique.
J’ai lu depuis, et vu que ce conflit est explicitement revendiqué par Raoult, un de ses exposés s’appelant même « Contre la Méthode ». Je constate que les critiques méthodologiques adressées aux trois essais cliniques marseillais sur 26 puis 80, puis 1061 patients à la base du plaidoyer pour l’emploi de l’association médicamenteuse prônée par le prof. Raoult, relèvent pour l’essentiel de ce conflit, dont tu ne dis mot, en les adoptant implicitement. Certes, ces publications n’ont pas (encore ?) reçu l’imprimatur attendu et passé les « peer reviews » usuelles dans le milieu. Il y a eu évidemment beaucoup de bruit fait autour des contre-indications et effets secondaires dangereux connus, montés en épingle par les adversaires du traitement préconisé, il y a eu aussi des accusations de malversation et truquages de résultats cliniques ou virologiques pour faire valoir des succès que les données ne permettraient pas autrement de jauger. Autant que je puis en juger, elles brillent par leur mauvaise foi quand elles ne se ramènent pas au même reproche de non-preuve définitive que les effets constatés sont susceptibles d’apparaître sans le traitement concerné.
Et voilà plus d’un mois que la prescription du traitement en question, susceptible de raccourcir la durée de contagiosité et d’éviter les complications, est en France interdit en ambulatoire sous prétexte d’attente de preuve d’efficacité par un wagon d’essais cliniques divers, Angers, Montpellier, Bordeaux dont un des principaux, nommé Discovery, européen mais avec Lyon, est discrédité d’avance. Et les hôpitaux étrangers, dont les HUG genevois, pratiquent un peu partout à tour de bras ce traitement sans pour autant publier leurs résultats. Et on continue dans les médias courants à faire comme s’il n’y avait pas de traitement possible. Il y a comme un paradoxe.
Bref, il manque à mon avis un « bras » à ton argumentation tendant à faire de Raoult un simple bateleur.
Amicalement, Dario.
Cher Dario,
Merci pour ton commentaire. J’en profite pour répondre également à celui de Jacqueline Monbaron qui va dans le même sens même s’il est plus modéré.
Je ne vais pas entrer dans une polémique pour ou contre Raoult et/ou pour ou contre l’hydroxychloroquine. Partout dans le monde cette molécule est testée en respectant les règles de bonnes pratiques cliniques qui font l’objet d’un consensus international. On verra au cours des prochaines semaines ce qu’il faut en penser. Si « cela marche ! », tant mieux ! Si cela ne « marche pas », il faudra continuer à chercher car l’épidémie va continuer à tuer jusqu’à ce que l’on trouve un traitement, comme pour le VIH, ou un vaccin, comme la rougeole ou la grippe.
L’objectif du Cercle Germaine de Staël est de réfléchir au recul des valeurs de la démocratie et à la progression du national-populisme en ce début de XXIe siècle. Deux thèmes que l’épidémie de Covid-19 vient nourrir car l’urgence sanitaire oblige à prendre des mesures « liberticides » qu’en d’autres temps nous n’aurions certainement pas acceptées. Tout cela dans un environnement dans lequel l’épidémie est politiquement instrumentalisée par les populistes de droite comme de gauche.
L’épidémie va changer le monde. Beaucoup d’entre nous souhaitent que cela ne soit plus « comme avant » et qu’enfin nous prenions la mesure d’une crise encore plus mortelle qu’est le réchauffement climatique ! L’épidémie de Covid-19 nous donne l’opportunité d’inventer un nouveau monde, mais pas à n’importe quel prix ! Rappelons-nous que le national-populisme – quelle que soit le domaine dans lequel il s’exprime, de la science à la culture ou de l’économie aux libertés fondamentales – fait partie de l’ancien monde. Au cours du XXe siècle, l’humanité a payé très cher pour le savoir et personne n’a envie que cela recommence !
Depuis, Raoult a rejoint …. Michel Onfray, ce qui te donne politiquement raison, quant à la controverse médico-scientifique, je penche du côté de Jacqueline Monbaron parce que j’ai apprécié Jean-Dominique Michel, mais je ne me sens pas qualifié pour affirmer une opinion.
Par contre, en ce qui concerne la formule « populistes de droite et de gauche », j’ai une opinion extrêmement ferme que je suis prêt à défendre, elle ne sert qu’à disqualifier les antifachistes radicaux, au même titre que la formule « extrémistes de droite et de gauche ». Je sais que la Suisse est Neutre, mais pas moi.