Janine Rodgers
« Ce n’est pas un tremblement de terre mais la secousse est importante et pourrait avoir des répliques » (Christophe Jaffrelot)
Les sondages prédisaient une victoire magistrale du BJP. Bien que celui-ci ait remporté le plus grand nombre de sièges à la chambre basse du Parlement, pour la première fois sous Modi, le BJP a perdu la majorité absolue. Il a remporté 240 sièges (la majorité est à 272). Toutefois, la coalition NDA soutenant Modi a obtenu la majorité absolue avec 293 sièges et permet à celui-ci de redevenir Premier ministre. Il devra s’appuyer sur une coalition de partis régionaux aux idéologies très différentes.
C’est une défaite morale pour Modi qui n’en a pas moins qualifié sa victoire « d’exploit historique », car il devient Premier ministre pour la troisième fois (à l’égal de Nehru). A la réunion du G7 la semaine dernière il n’a pas manqué de vanter cette « victoire de la démocratie ».
Comment expliquer ce recul ?
- La stratégie de polarisation communautaire a perdu de son attrait (comme le confirme la défaite du BJP à Ayodhya). Le répertoire des questions sociales a été plus important. Pour cette élection, les principaux facteurs de motivation des électeurs ont été la hausse des prix et le chômage, or le gouvernement sortant a échoué sur ces deux fronts. Le seul slogan de campagne du BJP était « La garantie Modi », ce n’était pas un programme, c’était une demande de chèque en blanc.
- L’opposition a fait une très bonne campagne axée sur la défense de la Constitution (sécularisme et diversité). Elle a pris des initiatives qui ont déstabilisé le BJP (inégalités, recensement des castes). Elle a choisi ses candidats de manière très sophistiquée en évitant l’hégémonie des grands partis et en laissant de la place aux petits groupes. Dans les États où l’opposition a fait de bons scores, il y eut une sorte de contre-polarisation. Les partis de l’opposition ont bénéficié d’un soutien musulman massif et les taux de participation ont été élevés. L’opposition n’a présenté qu’un seul visage lors de l’élection, une stratégie qui a fait merveille.
- Il y a eu un vote anti-titulaire (anti-incumbent) qui a profité à l’opposition dans les États gouvernés par le BJP mais qui a aussi permis au BJP de faire une percée dans les États du Sud.
Les failles du système majoritaire à un tour
Aux élections de 2014, avec 31 % des voix le BJP avait remporté 282 sièges, soit plus de 52 % des sièges.
En 2019, avec 37,34% des voix il avait remporté 303 sièges, soit 55,56% des sièges.
En 2024, avec 37,37% des voix, il n’a obtenu que 44% des sièges.
La dichotomie apparente entre la répartition des voix et le nombre de sièges est due aux failles systémiques du système électoral majoritaire à un tour. Elle a dépendu de la stratégie plus ou moins unitaire des partis d’opposition face BJP.
C’est un revers pour Modi et le BJP mais il faut le nuancer
- Si la popularité de Modi s’est un peu érodée (2014 = 36%, 2019 = 47%, 2024 = 41%), celui-ci reste le leader politique le plus populaire d’Inde.
- Le BJP reste le parti avec le plus grand nombre de représentants. Ces élections ont quelque peu modifié la représentation régionale. Le BJP a perdu des sièges dans des États du Nord (UP, Haryana, Bihar, Rajasthan, Karnataka, Maharastra et Bengale-Occidental), mais il a fait une incursion dans ceux du Sud et à l’Est et il a conquis l’Orissa. C’est désormais un parti national.
Questions concernant le nouveau gouvernement
Est-ce que les élections de 2024 marquent le début d’une ère de gouvernement de coalition, ou est-ce que Modi sera tenté vers plus d’autoritarisme pour compenser la perte de pouvoir politique ?
Est-ce que Modi sera capable de s’adapter à la politique de coalition ? À cause de leur engouement pour la centralité et l’uniformité le BJP et Modi ont des difficultés à comprendre le fédéralisme et la diversité régionale de l’Inde. Mais si concessions et compromis sont nécessaires, n’y a-t-il pas le risque qu’ils perdent leur attrait auprès des sections les plus radicales de l’Hindutva ?
La perte de sa majorité est un revers pour Narendra Modi, précisément parce qu’un gouvernement de coalition va devoir faire des concessions. En 20 ans de pouvoir au Gujarat et en tant que Premier ministre au centre, Modi n’a jamais eu à traiter avec des partenaires et n’a presque jamais fait de concessions (Sa seule concession a été le retrait des lois agricoles). Il n’est pas habitué aux compromis, or la politique de coalition implique des compromis. Nitish Kumar et Chandrababu Naidu (Chief Ministers du Bihar et de l’Andhra Pradesh), ses principaux partenaires dans la coalition, ont déjà demandé au moins un statut spécial pour leurs États et des postes de ministres. Ils auront la possibilité de faire tomber le gouvernement en retirant leur soutien s’ils n’obtiennent pas satisfaction.
Le nouveau gouvernement que Modi vient de former n’augure pas de changements positifs. Au total, le gouvernement est fort de 71 ministres, 61 d’entre eux appartiennent au BJP et 10 viennent de partis de la coalition NDA. Il y a seulement sept femmes (le gouvernement sortant en avait 11), un seul représentant des minorités (un Sikh) et aucun Musulman (une première depuis l’Indépendance). Les ministres sortants des plus importants ministères (Intérieur, Affaires étrangères, Défense, Économie et Transports) ont été reconduits dans leurs fonctions.
Quelle peut être l’influence de ces élections sur les ambitions internationales indiennes ?
Probablement aucune. La Chine est toujours perçue comme une menace à la fois par l’Inde et les pays occidentaux. Ces derniers vont donc continuer de courtiser New Delhi et pour sa part, l’Inde poursuivra sa politique de « plurilatéralisme». Le ministre des Affaires étrangères a précisé que le prochain gouvernement se concentrerait sur la résolution des problèmes en suspens le long de la frontière avec la Chine.
Une alternative à Modi ?
Les relations entre Modi et RSS ne sont pas au beau fixe, car Modi s’était émancipé du RSS. De plus, le type de personnalisation du pouvoir que Modi a cultivé est en contradiction avec la philosophie du RSS qui est une organisation où les personnalités doivent passer au second plan, doivent fusionner avec l’organisation. Quand la popularité de Modi diminue le RSS s’exprime de manière critique envers Modi.
Si Modi ne parvient pas à maintenir la cohésion au sein du gouvernement de coalition, il est fort possible que le RSS et le BJP cherchent à le remplacer. Ils chercheront un autre Premier ministre avec des compétences de dialogue, capable d’établir des relations avec les autres de manière non verticale. Le respect mutuel est la clé de toute coalition.