La pandémie, Albert Camus et les grands-mères polonaises

par Pamela Jaunin 

Je remercie Anne-Françoise Allaz pour son article à propos de la lutte des grands-mères polonaises et Jacqueline Monbaron pour les questions qu’elle soulève concernant les entraves à la liberté dans une situation de crise. Etant américaine, je suis sensible aux tristes nouvelles qui nous arrivent des Etats-Unis ces jours-ci. Quand on est menacé soit par le Covid 19, soit par la mort sous le genou d’un policier, il n’y a qu’une réponse possible : s’engager pour défendre la vie et la dignité humaine. Quand les autorités menacent le droit de s’exprimer et de vivre décemment, il ne faut pas hésiter à agir. Comme le disait Gauthier Ambrus dans son article publié dans Le Temps du 25/09/2018 à propos de Victor Orban, « Y a-t-il une digue qui tienne devant la déferlante populiste ? » Comme lui, je pense qu’il est édifiant de lire ou relire Fontamara d’Ignazio Silone, l’histoire des habitants d’un petit village des Abruzzes, confrontés à la mainmise des élites fascistes sur leurs terres dans les années 1930. 

Si l’on croit le père Paneloux, chroniqueur de la grande peste de Marseille au XIVe siècle, sur les quatre-vingt-un religieux du couvent de la Mercy, quatre seulement survécurent à la fièvre. Et sur ces quatre, trois s’enfuirent. Mais toute la pensée du père Paneloux allait à celui qui était resté seul, malgré soixante-dix-sept cadavres et l’exemple de ses trois frères. Et le père, frappant du poing sur le rebord de la chaire, s’écria : « Mes frères, il faut être celui qui reste ! »

Plus récemment la Polonaise Olga Tokarczuk, Prix Nobel de littérature a écrit Les livres de Jacob.  Elle y dit que dans un monde cassé « la tâche principale de tout individu est de faire de son mieux pour y remédier. » 

Enfin, je suggère évidemment de lire ou relire Albert Camus qui exprime probablement mieux que quiconque, dans son admirable livre, La Peste, le dilemme auquel nous sommes confrontés : 

« … puisque la maladie était là, il fallait faire ce qu’il fallait pour lutter contre elle. Parce que la peste devenait ainsi le devoir de quelques-uns, elle apparut réellement pour ce qu’elle était, c’est-à-dire l’affaire de tous. »

Ou encore :

[…] « Je sais seulement qu’il faut faire ce qu’il faut pour ne plus être un pestiféré et que c’est là ce qui peut, seul, nous faire espérer la paix, ou une bonne mort à son défaut. C’est cela qui peut soulager les hommes et, sinon les sauver, du moins leur faire le moins de mal possible et même parfois un peu de bien. Et c’est pourquoi j’ai décidé de refuser tout ce qui, de près ou de loin, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, fait mourir ou justifie qu’on fasse mourir. » 

[…] « C’est pourquoi encore cette épidémie ne m’apprend rien, sinon qu’il faut la combattre à vos côtés. Je sais de science certaine … que chacun la porte en soi, la peste, parce que personne, non, personne au monde n’en est indemne. »

En conclusion, que cela se passe au Maroc, en Pologne, en Algérie, aux Etats-Unis ou ailleurs, nous sommes tous concernés. Comme les grands-mères de Pologne, c’est à nous de réagir.

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