La pandémie du Covid-19, caisse de résonance des inégalités

Par Janine Rodgers

Si le virus Covid-19 ne fait pas de discrimination, les sociétés en font, et les ravages causés par le virus ne sont pas partagés également parmi les populations affectées. La pandémie du coronavirus doit être abordée comme un phénomène biosocial et biopolitique[1]. Ses effets sontdémographiquement et socialement sélectifs car les mesures prises pour lutter contre le virus résonnent différemment selon le capital social et économique des individus, renforçant ainsi les inégalités existantes.

La pandémie du Covid-19 révèle divers domaines d’inégalité :

Les inégalités territoriales

Cette crise jette une lumière crue sur les inégalités territoriales en matière d’équipement (masques de protection, ventilateurs, médicaments, etc.) et d’infrastructures sanitaires, entre pays comme à l’intérieur de chaque pays. D’après l’OCDE l’Inde dispose de 0,5 lit d’hôpital pour 1000 habitants contre 13,1 au Japon (4,5 en Suisse, 6 en France). De la même façon, l’Inde compte 0,8 médecins pour 1000 habitants contre 3,4 en France et 4,3 en Suisse.

Les systèmes de santé publique ont grandement souffert des politiques d’austérité néo-libérales. N’ayant pas les moyens de traiter un afflux massif de malades du coronavirus les gouvernements ont adopté des mesures telles que la distanciation sociale et le confinement afin de limiter la propagation du virus et de retarder l’afflux de malades dans les hôpitaux. Alors que les pays riches peuvent gérer cette situation, il est douteux que ce soit le cas partout en Asie ou en Afrique.

Les inégalités face au travail

Inégalités dans l’exposition au virus : le personnel du secteur de la santé est en première ligne et le manque d’équipement de protection accroît leur vulnérabilité. Mais d’autres professions comme livreur ou caissière sont aussi exposées à l’épidémie. Ce sont des occupations en bas de la hiérarchie professionnelle, mal rémunérées. Les emplois «féminins» sont surreprésentés car les femmes sont majoritaires dans la santé, dans la garde d’enfants, dans le commerce de détail. En Suisse les femmes représentent 76% des travailleurs de la santé et 67% des employés du commerce[2].

Inégalités face au choc économique : sous l’effet du confinement et de l’arrêt des chaînes de production, la pandémie provoque un choc économique qui se traduit par une envolée du chômage au niveau mondial. Selon l’OIT[3], environ 81 pour cent de la main-d’œuvre mondiale sont affectés par la fermeture totale ou partielle des lieux de travail. Ces travailleurs sont exposés à des pertes de revenus et à des licenciements. Les secteurs les plus touchés (commerce de détail, restauration, tourisme, transport) ont une forte proportion de travailleurs précaires et peu payés, et ayant un accès limité aux services de santé et à la protection sociale, particulièrement dans les pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire. Les travailleurs indépendants sont aussi particulièrement vulnérables.

Les inégalités de genre[4]

L’expérience des épidémies passées montre qu’une crise sanitaire conduit souvent à une régression de l’égalité des sexes.

Les tâches domestiques s’accroissent : à l’échelle mondiale, les femmes consacrent trois fois plus d’heures aux tâches ménagères que les hommes. Le confinement imposé par la pandémie, la fermeture des commerces non-essentiels et des écoles oblige les femmes à fournir ou produire à la maison des services et des biens qui étaient auparavant obtenus par le truchement du marché. Les tâches de prise en charge des soins aux personnes âgées, aux malades ou aux enfants augmentent.

Envolée des violences domestiques : le confinement a engendré une nette augmentation des violences domestiques. Une augmentation de 30% a été observée en France, 25% au Royaume-Uni, 18% en Espagne. Le 28 mars, le Secrétaire général des Nations Unies[5], lança un appel pour protéger les femmes et les jeunes filles. Il a notamment demandé la mise en place de systèmes d’alerte d’urgence dans les pharmacies et les magasins d’alimentation, seules enseignes à rester ouvertes dans de nombreux pays.

La période de quarantaine sert de test à de nombreux couples. En Chine la fin du confinement s’est accompagnée d’un bond dans le nombre de demandes de divorce.

Les inégalités de classe

La majorité des gouvernements ont imposé la distanciation sociale et le confinement comme mesures de lutte contre la propagation du virus. Mais signifient-ils la même chose dans tous les pays ? Dans certains pays, la distanciation sociale se réfère avant tout à l’espace physique entre les personnes et en Europe, le niveau de revenu tend à déterminer la surface à disposition. Dans d’autres pays, la distanciation sociale se réfère aussi à l’espace social entre riches et pauvres – les habitants des quartiers résidentiels enclos (« gated communities ») et ceux des habitants des bidonvilles. Dans les bidonvilles et les camps de réfugiés, l’espace est restreint, la promiscuité aiguë, l’assainissement et l’hygiène sont médiocres (comment se laver les mains sans accès à un robinet ?).

Les couches économiques inférieures sont plus susceptibles d’attraper la maladie et sont également plus susceptibles d’en mourir. Pour ceux qui restent en bonne santé, ils sont plus susceptibles de souffrir du chômage et de subir une perte de revenu.

On peut conclure que les choix de politiques de lutte contre le virus ont amplifié certaines inégalités existantes. Est-ce que la sortie de crise offrira une opportunité pour revisiter ces inégalités et par exemple revaloriser la contribution des femmes à la société ?


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