La partition d’un territoire est-elle vraiment une solution démocratique ?

Par Gerry Rodgers

On commémore beaucoup de centenaires en ce moment ! Des anniversaires qui rappellent que la période entre 1918 et 1922 a été riche en évènements. Cela inclut la création de l’Irlande du Nord le 3 mai 1921 et, à la fin de cette année-là, la signature du traité qui mit fin à la guerre d’indépendance irlandaise et conduisit à la création de l’État libre d’Irlande (plus tard la République d’Irlande), sans le nord-est de l’île qui était resté attaché au Royaume-Uni. Cet arrangement a immédiatement conduit à une guerre civile dans l’État libre entre ceux qui acceptaient la partition et ceux qui la refusaient, puis à une longue histoire de conflit violent entre nationalistes et unionistes en Irlande du Nord. On espérait que le conflit ait pris fin avec l’accord du Vendredi Saint en 1999, mais il est maintenant en train de resurgir à la suite du Brexit.

C’est un exemple précoce de l’instrument postcolonial de partition comme moyen de résoudre des difficultés et d’esquiver des responsabilités. Lorsque plusieurs identités co-existaient sur un territoire colonial, face aux demandes d’indépendance, la solution de facilité était de diviser le territoire, en invoquant généralement un principe démocratique de règle de la majorité. Mais une majorité sur quel territoire ? Dans le cas de l’Irlande du Nord, ce n’est pas seulement l’île d’Irlande qui a été divisée, mais aussi la province d’Ulster, car seuls 6 comtés sur 9 ont été inclus dans la nouvelle Irlande du Nord pour empêcher l’émergence d’une majorité catholique. 

La partition des territoires coloniaux a été généralement une catastrophe, car l’identité et le territoire ne coïncident jamais complètement et le résultat a été de créer de nouveaux problèmes presque insolubles sur la base des anciens. Une autre contribution britannique, la partition de l’Inde sur une base religieuse, de chaque côté de frontières arbitraires, a entraîné des mouvements massifs de réfugiés et des millions de morts. L’héritage en a été deux guerres majeures et une hostilité persistante entre l’Inde et le Pakistan, avec même aujourd’hui des combats récurrents au Cachemire, lui-même divisé. C’est peut-être la partition la plus dangereuse de toutes, sur laquelle deux États lourdement armés brandissent leurs sabres nucléaires. Puis il y a eu la partition de la Palestine en 1948, votée par les Nations Unies dans le sillage du mandat britannique qui a suivi la chute de l’empire Ottoman. Autre partition qui a déclenché des guerres successives, et qui reste aujourd’hui une source permanente d’instabilité fomentant l’hostilité, l’extrémisme et la violence dans tout le Moyen-Orient. D’autres pays ont tenté le jeu de la partition – l’Afrique du Sud de l’apartheid était un cas de partition interne – sans plus de succès.

Revenant à la situation de l’Irlande, la partition a créé les conditions pour que les positions enracinées persistent, décourageant les compromis. Le succès de l’accord du Vendredi Saint pour sortir de l’impasse a consisté à brouiller la frontière entre le nord et le sud et à permettre à différentes communautés de conserver leur identité au sein d’une entité plus grande – dans le cas de l’Irlande du Nord, trois entités plus grandes : le Royaume-Uni, l’Irlande et l’UE. Mais ces affiliations plus larges sont exactement ce que les Brexiteers et autres nationalistes extrémistes ne peuvent accepter, et que la partition est censée éviter. Par contre, l’intégration démocratique, organisée d’une façon qui respecte de multiples identités, n’est certainement jamais facile, mais offre la possibilité d’une solution durable. 

2 Replies to “La partition d’un territoire est-elle vraiment une solution démocratique ?”

  1. André Duval dit : Répondre

    Autres exemples
    Dans les années 1990 la région Rhône-Alpes veut subdiviser son espace en territoires de développement partageant les départements existants. Avec ces nouveaux territoires elle pourra signer des contrats de développement durables Rhône-Alpes, CDDRA. Il fallait donc tracer ces frontières, ce qui passait mal avec les responsables locaux habitués à avoir pour interlocuteurs les départements ; pour les convaincre une grande réunion des élus fut organisée à Lyon. Plusieurs orateurs y interviennent dont un spécialiste de Grenoble présenté comme un politologue de renom. Quelle n’a pas été ma stupéfaction de l’entendre dire que, en Afrique, on avait bien tracé des frontières peut-être arbitraires quelquefois mais elles étaient aujourd’hui acceptées sans poser de problèmes. A cette époque un de mes fils avait été faire un stage avec Ingénieurs sans Frontières pour un projet de réseau d’eau potable au confin des Sénégal, Mauritanie, et Mali. La frontière passait au milieu d’une ethnie appelée Soninké. Les échanges entre ces habitants étaient beaucoup plus importants qu’avec l’intérieur de leurs pays
    Le nombre de conflits territoriaux en Afrique est illimité (Mali, Casamance, Ethiopie, Erythrée, Tigré, Soudan…).
    Tout près de chez nous l’argument politico-religieux, semblable à celui utilisé pour l’Ulster, a fait que le canton de Genève a été réduit au minimum et est la cause d’une coupure source de discontinuités perturbatrices dans de nombreux domaines pour les populations qui y vivent.
    – En Savoie la différence de revenus des salariés en France et des frontaliers est dans un rapport de 3 à 4, rendant la cohabitation difficile et conflictuelle.
    – Le coût de la vie y est acceptable pour un salaire suisse ou de frontalier mais insupportable pour un fonctionnaire français tel(le) l’enseignant(e) ou l’infirmier(e).
    – La demande de transport y est anormale car les emplois se développent principalement en Suisse alors que les logements principalement en France. Pour la satisfaire les infrastructures sont inégales, denses en Suisse, dispersées en France, donc sources de pollution aux particules et au gaz à effet de serre, les deux passant par-dessus la frontière.
    – Pour les patients aux maladies lourdes, ceux français devront aller vers un hôpital universitaire à Lyon ou Grenoble, ceux suisses à quelques centaines de mètres iront au HUG tout proche.

    La CEST, Coordination Economique et Sociale Transfrontalière , a plusieurs fois soulevé la question de l’harmonie sociale dans cet espace où des groupes antagonistes se sont formés : habitant et travaillant en France, suisses en Suisse, frontaliers, suisses vivant en France mais officiellement résidant en Suisse. Les maires des deux cotés montent leurs populations contre ces derniers ne voulant pas leurs enfants dans leurs écoles. Le MCG, parti populiste notoire, y trouve l’environnement adéquat à son développement.

  2. Les considérations de Gerry Rodgers comme le commentaire d’André Duval mettent tous deux excellemment en lumière une problématique qui devrait en effet être au cœur des réflexions du Cercle. La relation entre la démocratie et la territorialité, base des Etats Nations constitués et institués depuis plusieurs siècles maintenant. Cette problématique surdétermine celle des droits politiques des étrangers à laquelle je me suis voué en ce qui concerne Genève. D’un côté, il ne saurait y avoir de démocratie sans une notion de territoire administrant la résidence, et les droits de participation aux décisions collectives, de celles et ceux qui y vivent durablement, voire s’y rattachent pour les nomades contemporains. De ce point de vue, l’anarchisme implicite de ceux qui refusent toute délimitation entre « eux » et « nous », est ennemi de toute procédure démocratique, qui exige le recensement de ceux dont la voix compte pour les décisions à prendre comme pour la désignation de leurs « représentants ». Mais un territoire est générateur de conflits et guerres dès qu’il n’admet pas en son sein la diversité des opinions et des statuts, qu’il doit traiter dans une optique d’égalité devant la loi et dans les faits collectifs. Le défi démocratique se définit comme celui de l’égalité des droits des citoyennes et des citoyens de territoires emboîtés, ce qui implique à des degrés divers la notion de subsidiarité.
    Merci à Gerry et André de tous ces exemples a contrario montrant que la partition par désir d’homogénéité est une solution délétère minant la possibilité de gestion démocratique d’un ensemble social. Il est pénible de constater que la Suisse qui a trouvé historiquement d’admirables moyens institutionnels de gérer en cohérence un territoire malgré sa diversité linguistique n’a pas trouvé le biais pour ‘inspirer l’Union européenne ou ses grands voisins de ses solutions qui prennent aujourd’hui la patine du repli.

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