Par Jean-Daniel Tissot
Le rythme des grandes épidémies a façonné l’histoire de l’humanité. Des populations entières ont été décimées ; des pathogènes inoffensifs pour les uns ont tué, ailleurs, des populations entières. Une mortalité effrayante a côtoyé les invasions et les grandes découvertes : dans des îles lointaines, des populations, indemnes de certains pathogènes, sans immunité contre eux, ont été éliminées par les virus et les bactéries transportés par les envahisseurs, les explorateurs.
La peste a été et reste encore une maladie grave ; elle tue toujours. Elle s’est installée dans l’inconscient collectif. La bactérie responsable, découverte par Alexandre Yersini, s’est répandue jusqu’en Amérique du Nord. La colonisation de la côte Est de l’Amérique du Nord par les marins anglais a favorisé sa présence à Boston dès le XVIIème siècle. La côte Ouest a été épargnée jusqu’au début du siècle passé. Yersinia pestis a colonisé progressivement tout le continent suite à l’arrivée à San Francisco d’un marin infecté (un pestiféré au sens propre du terme). Les rats et les puces ont fait le reste.
De nos jours, les antibiotiques sont efficaces. La peste se traite, les craintes se sont éloignées, mais rien ne garantit que l’équilibre fragile entre bactéries – rats – puces et humains ne bascule pas vers une épidémie qui pourrait toucher en priorité des populations fragiles, mal nourries, délaissées. Elles ne sont pas si loin de chez nous, au Kurdistan, en Syrie, dans de nombreux pays africains. Madagascar souffre toujours de la peste ; elle est endémique sur cette île : entre le 1er août et le 11 décembre 2018, 124 cas de peste ont été rapportés (dont 91 sous la forme bubonique et 31 sous la forme pulmonaire). L’année dernière une épidémie de peste d’une rare ampleur a sévi avec plus de 2300 cas cliniques et 200 décès (surtout de la forme pulmonaire).
Le choléra reste présent, les zones sinistrées par des tremblements de terre, les régions meurtries par les catastrophes naturelles sont facilement dévastées par la bactérie responsable.
La tuberculose n’épargne plus nos pays : des germes résistants sont à nos portes, les traitements mal suivis, mal prescrits sont une des causes majeures du risque résiduel d’une maladie qui pourrait ré-émerger. Des bactéries multi-résistantes sont présentes en Inde ; elles sont transportées dans nos régions et nous menacent ; nos thérapies sont inefficaces, les antibiotiques sont sans effets ; l’industrie pharmaceutique ne fait plus de recherche pour développer de nouvelles armes…
La malaria tue des milliers de personnes tous les jours : les parasites sont de plus en plus résistants, le monde des voyageurs s’effraye, les populations sont laissées sur le carreau.
Des nouvelles maladies infectieuses émergent, d’anciennes reviennent sur le devant de la scène. De nouvelles approches épidémiologiques se sont développées, notamment en analysant les comportements humains au travers de l’usage des réseaux sociaux, des questions posées sur les moteurs de recherche. Le réchauffement climatique et ses conséquences sur nos habitudes, sur les réserves d’eau potable, sur l’agriculture bouleversent déjà notre quotidien.
Entre peste et choléra, nous pouvons choisir le coronavirus apparu en Chine fin 2019i, la tuberculose ou la malaria… Nous avons le choix. La nature n’a pas dit son dernier mot. Alors, relisons le Cygne noir de Nassim Nicholas Talebii et réfléchissons à nos certitudes. Rien n’est prévisible : ce qui est attendu ne se déroulera pas, ; ce qui est inattendu sera. Nous sommes les acteurs-spectateurs du Désert des Tartares de Dino Buzzati. « On dira de nous : ils sont Drogo ».
Le vivant est modifié, le vivant est menacé, la santé de demain sera différente de celle d’hier, de celle que nous connaissons aujourd’hui. L’homme est acteur de sa mort collective. L’homme est capable de détruire l’humanité.
Les sciences du vivant seront toutes sollicitées ; notre responsabilité est engagée, et soyons attentifs à ne pas participer au mal communi. Participer de manière passive au mal commun est déjà faire preuve d’irresponsabilité : mais c’est la voie dans laquelle de nombreux politiciens nous entrainentii. De notre plein gré ? Malgré leurs capacités à avoir des réponses à tout, on observe au plan international que les gouvernements nationalistes et/ou populistes ont profité de la crise qu’ils ont souvent mal gérée, ou pire, qu’ils ont géré à leur unique profit. La prise de pouvoir au détriment de toutes les libertés n’est jamais acceptable. Seules les démocraties fortes pourront se relever dans un esprit qui permettra aux lois d’être utiles aux peuples et non rédigées dans l’unique (et inique) but d’une prise du pouvoir. Cette prise de pouvoir revendiquée au nom de la sécurité est en fait une main mise totalitaire. Le lit de la dictature ne doit pas se créer sur le lit des morts du Covid-19.
Les vaccins sont une réponse possible, mais trop de dogmes entourent cette révolution thérapeutique : peurs des vaccins ; crainte de sortir du naturel ; fascination face à la nécessité de devoir subir une punition divine… comme si elle était nécessaire, méritée.
Dès lors, le principe de responsabilité devrait être appliqué : le Covid-19 tue directement et surtout indirectement : dans les pays riches, les maladies cardio-vasculaires et possiblement certains cancers ne sont plus traités selon les règles de l’art. Mais pire encore, dans le tiers et le quart monde, la mort sera encore et toujours liée à la malaria, à la malnutrition (trop peu et trop de mal bouffe), aux inégalités, aux extrémismes, aux terrorismes. La bêtise humaine rode, pleine de certitudes, de gourous…La peur est exploitée, l’incrédulité est utilisée : des dirigeants proposent souvent des solutions dont l’apparente simplicité ne tient pas toujours compte de la complexité de la réalité. Les millions de spécialistes participent à l’angoisse collective, mélangeant réalité et fiction, savoirs scientifiques établis et opinons personnelles. Nous devons redoubler de vigilance : la première vigilance est nécessaire face au virus et sa contagiosité, la seconde est vitale face aux liberticides qui sont capables de détruire les acquis au profit de la dictature. Nous ne devons pas accepter que les failles liées à de nos peurs nous emportent dans le gouffre des idéologies. N’est-il pas préférable de mourir du Covid-19 plutôt que de perdre la liberté de vivre libre ?
i Peste et choléra est un roman de Patrick Deville, paru aux Éditions Seuil en 2012. Il retrace la vie et les découvertes de Yersin. Et rendons hommage à Albert Camus et à son roman La peste : cette œuvre majeure a marqué les esprits. Redécouvrons ce texte magnifique.
ii Même la nomenclature est encore floue ; parle-t-on de la maladie ou du virus ? (2019-nCoV, Covid-19, SARS-CoV-2, SARS2… (Le Matin.ch du mardi 18 février à 09 :54.)
iii Le Cygne noir, Nassim Nicholas Taleb, Édition Les Belles Lettres, 2014.
iv Qui s’oppose bien évidemment au bien commun. Et je propose au lecteur d’explorer attentivement ce qu’est le bien commun, dans ses dimensions philosophiques, éthiques, économiques, juridiques ou théologiques.
v Donald Trump en est la caricature, mais il n’est de loin pas le seul
Cette phrase est pour moi capitale:,
« N’est-il pas préférable de mourir du Covid-19 plutôt que de perdre la liberté de vivre libre ? »
Il est tout de m^me sidérant que la moitié de la planète ait accepté sans cilier ce confinement!
Une de mes amies, médecin responsable d’un réseau de soins pal, s’étonnait justement que ce mot de LIBERTE ne soit pas plus commenté depuis 8 semaines.
Mais en France, nous avons notre « principe de précaution » inscrit dans la constitution , qui empoisonne vraiment toute gestion du risque….
Merci Jean Daniel pour ce texte ; j’ai encore reçu un post donnant des chiffres de causes de mortalité dans le monde en fonction des pathologies lors du 1 trimestre 2020(jusqu’au 30 mars) je n’ai pas osé les transférer car je ne connais pas la source…. c’est gênant même si tous ces chiffres sont probables: il y avait à l’époque 36 272 DC COVID et 2 755 098 DC de faim!!
(117 272 DC grippe saisonnière etc…)
Il faudrait définir de quelle liberté on parle. Le confinement pour beaucoup d’entre nous n’a restreint que la liberté physique, une part de la liberté de mouvement, au moins jusqu’à aujourd’hui. Le blog montre qu’une certaine vie a pu se maintenir et au delà.
C’est en m’intéressant à Germaine de Staël que je viens de découvrir votre blog. Bravo pour cet effort collectif. Il est important que des groupes comme le vôtre se multiplient car si l’on veut survivre, il faut réinventer un autre monde.
Merci pour le beau texte de Jean-Daniel Tissot que j’ai lu avec beaucoup de plaisir. Pourtant, je ne peux vous cacher qu’il y a quelque chose qui, du titre à la dernière phrase, me chiffonne. Cela fait bientôt quarante ans qu’une pandémie à laquelle aucun pays n’échappe, infecte encore chaque année près de deux millions de personnes et en tue 800.000. Comme pour le covid-19, la meilleure prévention reste encore aujourd’hui les mesures barrières qui sont connues par la plupart et qui sont appliquées par beaucoup. Aujourd’hui, il existe un traitement qui a largement réduit la mortalité mais à ce jour les chercheurs n’ont encore trouvé aucun vaccin. A l’image de ce qui probablement nous attend avec le Covid-19, l’humanité a appris à vivre avec ce risque et cela a modifié un certain nombre de comportements aussi bien dans la population que dans les services de santé. Malgré cela, depuis son apparition en 1981, cette pandémie a tué 33 millions de personnes et aujourd’hui encore près de 40 millions en sont infectées.
Oui, la pandémie à VIH/sida continue. Et il ne faudrait pas qu’une autre pandémie d’apparition plus récente le fasse oublier! Aujourd’hui nous devons faire face à deux pandémies. Demain, devrons-nous apprendre à vivre avec cinq?