Une régularisation à l’italienne

Par William Ossipow


La presse nous apprend que l’Italie va procéder à une régularisation assez massive des sans-papiers présents sur le territoire italien (Le Temps, 15 mai 2020). Les chiffres donnés pour l’instant sont plutôt vagues puisqu’il est question de 100’000 à 300’000 personnes concernées. Il semble que la motivation du gouvernement pour procéder à cette régularisation soit double : d’une part, dans le cadre de la lutte contre la pandémie, mieux cerner et contrôler cette population susceptible d’être un puissant vecteur du virus en raison de sa clandestinité et de sa précarité. L’autre raison est de nature économique : l’Italie, gravement touchée par la maladie, a un urgent besoin de main-d’œuvre pour le ramassage des fruits et légumes pour ses exportations et son industrie agroalimentaire. 


Pour ceux qui s’intéressent aux politiques migratoires, le geste de l’Italie est intéressant à plus d’un titre. En premier lieu, la raison sanitaire qui est évoquée paraît couler de source. Elle renvoie en fait à une donnée fondamentale des sociétés modernes. Celles-ci ne peuvent tolérer de manière chronique des populations dont les membres sont en quelque sorte des électrons libres : sans papiers, travailleurs non déclarés, souvent sans revenus, ne jouissant pas des assurances de base de l’Etat-providence. L’Etat social est basé sur la connaissance à la fois de ceux qui contribuent à ses ressources financières par leurs cotisations et de ceux qui bénéficient de ses prestations en cas de besoin. Il y a peut-être quelque chose que Michel Foucault aurait raillé : « surveiller, enregistrer, catégoriser, embrigader, exploiter », mais c’est probablement le prix du congé donné à l’anarchie des bidonvilles et des bas-fonds abandonnés à l’active sollicitude des capos de la maffia (cf. Le Temps, 15 mai 2020).


En second lieu, la régularisation à l’italienne rencontre un motif économique. Elle est basée sur l’idée d’une contrepartie, encore floue mais au moins esquissée, à un travail salarié, par ailleurs d’une importance vitale pour les entreprises qui embauchent et pour l’économie italienne en général. C’est un point à mes yeux très important. D’une part il marque la reconnaissance de jure, de la valeur économique et sociale du travail des migrants. La régularisation n’est pas donnée gratis et, quitte à chagriner certains, elle n’est pas octroyée à titre humanitaire. Car le geste humanitaire souffre d’un défaut : il n’est pas accompli en fonction d’un droit mais en fonction d’un bon vouloir. Ce qui retient l’attention dans la solution italienne est de ne faire appel ni à la force (expulsion des immigrés clandestins préconisée par les populistes), ni à la vertu (l’humanitaire), mais à l’intérêt bien compris et convergent des immigrés sans-papiers, des entreprises et de l’Etat en charge de la bonne marche de la société. C’est une prérogative de l’Etat de pouvoir transformer des intérêts en droits. User intelligemment de cette prérogative au profit de tous permet une combinaison gagnant-gagnant qui rend la régularisation plus acceptable aux yeux d’une opinion publique pas forcément acquise d’emblée.

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