Par Jean-Daniel Tissot
La nuit est tombée : cette nuit s’appelle Covid-19. Elle s’est accompagnée d’un grand vide de lumière, d’absences, d’absence de vie en commun. Malgré tout, dans ce noir, sont apparues des étoiles. Toutes celles que, dans la vie que nous appelions normale, l’on ne voit pas ou que l’on ne veut pas voir. Ces étoiles, ce sont les invisibles d’avant Covid-19.
Vous, les réceptionnistes, les téléphonistes, les infirmières, les infirmiers, les aides, les nettoyeuses, les nettoyeurs, les transporteurs, les vendeuses, les postières, les employés des transports publics, les livreurs, les agriculteurs étiez invisibles. Toutes ces personnes se sont révélées essentielles dans cette crise. Elles étaient beaucoup trop souvent invisibles quand l’apparence de la lumière inondait le monde.
Les invisibles sont souvent ces femmes et ces hommes que l’on ne regarde pas et qui dans cette obscurité sont apparus comme une nécessité, comme des étoiles, comme des centaines d’étoiles formant des galaxies. Cette obscurité subite les a mis en évidence dans leur évidente nécessité. Cette obscurité a levé le voile qui couvrait ces invisibles qui œuvraient au quotidien, pour nous, dans l’indifférence générale.
La nuit est tombée ; elle s’appelle Covid-19.
La présence des invisibles devient visible, dicible, audible. Leurs gestes que nous voulions bien ignorer tant que la lumière nous aveuglait nous permettent de vivre ; leur engagement est le fil qui nous relie, qui nous lie. Tous ces invisibles sont devenus nos lumières ; ils ont été couverts d’applaudissements bien mérités. Les mercis ont fusé, diffusé. Ils sont nécessaires, mais ils sont insuffisants.
Il ne faut pas que ces applaudissements étouffent leurs voix.
Nous devons accepter que la beauté du monde ne soit pas uniquement visible avec les yeux : elle l’est surtout par le cœur. Vous, les invisibles, vous êtes entrés pour beaucoup, rentrés pour d’autres, dans nos cœurs. Nous vous devons beaucoup. Vous nous avez sortis de nos dépendances et de nos arrogances.
Mais lorsque le monde sera à nouveau sous le feu des projecteurs de la consommation, de la futilité, des lumières artificielles, du chacun pour soi, nous devrons nous souvenir du rayonnement qui fut le vôtre. Nous devons garder en mémoire ces lumières qui nous ont guidés. Nous vous devons tant. Nous étions à la merci de votre bonté, alors nous devrons agir pour vous, car au-delà des mots, des mille mercis, vous devrez être visibles et reconnus.
Le processus de reconnaissance sera long, ardu : vous aurez certainement à nous rappeler que vous étiez nos étoiles quand la nuit du Covid-19 finira. Longtemps, nous sommes restés aveugles et n’avons pas vu la lumière qui vous caractérise : pourvu que nous ne devenions pas sourds à vos appels quand la lumière nous aveuglera à nouveau et que seules nos oreilles seront à disposition pour vous écouter : serez-vous entendus ?